Pratiques et discours du développement durable - Groupe d’approche interdisciplinaire des questions environnementales

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Les populations de montagne face aux contraintes naturelles : CR de thèse

Dernière mise à jour le 15 janvier 2006.

« Les populations de haute montagne face aux contraintes naturelles. Les vallées de Chamonix et Vallorcine 1730-1914. »

Soutenance de thèse d’histoire de Sébastien Léone, Grenoble, 13 janvier 2006

Les vallées de Vallorcine et Chamonix appartenaient au royaume de Piémont Sardaigne avant 1792 ; rattachées à la France révolutionnaire, elles retombèrent dans le giron sarde entre 1814 et 1860, date du rattachement définitif à la France. Les hameaux situés entre 900 et 1450 m d’altitude sont confrontés à plusieurs types de phénomènes naturels dangereux : avalanches, tempêtes, torrentialité. Un des fils directeurs de l’étude consiste à évaluer l’évolution du dialogue entre les populations et les différentes administrations qu’ont connu les vallées de Vallorcine et Chamonix, sur un temps long de deux siècles. Quelles furent les modalités du passage d’une gestion locale du risque, qui consistait à proposer des solutions de contournement et d’évitement des contraintes naturelles, à la gestion des professionnels (hydrauliciens, forestiers) qui vise à supprimer carrément les causes des phénomènes dangereux ?

La première partie s’attache à décrire les « risques et phénomènes anciens en milieu montagnard » en délimitant le cadre de l’étude. Quelles sont ces sociétés de montagne et leurs activités ? Comment perçoivent-elles le risque, quelles sont leurs réponses face à l’évènement destructeur ou meurtrier ? L’auteur examine le fonctionnement d’un système territorial comprenant les fonds de vallée, les premières pentes, les forêts et les alpages d’altitude, mais il ne s’aventure que rarement en haute montagne. Cette partie aurait gagné à insister encore davantage sur l’ouverture économique ancienne de ces sociétés de montagne (industrie des objets de bois, migrations de travail) qui explique leur perméabilité aux influences extérieures lors de la mise de l’industrie du tourisme. S. Léone s’appuie sur le constat suivant lequel le risque devant la catastrophe est une construction sociale pour démontrer comment les sociétés agro-pastorales de montagne adaptent leurs réponses par rapport aux phénomènes naturels. On est loin de l’image d’Epinal des montagnards autarciques et arriérés, des sociétés fatalistes qui attendent passivement l’arrivée des savoirs techniques extérieurs.

Dans la deuxième partie, l’auteur intègre les modes de raisonnement du géographe pour examiner les aménagements des fonds de vallée contre les risques avalancheux et torrentiels, afin de montrer comment les administrations prennent le relais des communautés. Elles écartent les savoirs vernaculaires, mais doivent avoir recours à une phase d’expérimentation. Les ingénieurs hydrauliciens du XIXe se trouvèrent par exemple particulièrement décontenancés par les caractéristiques des torrents de montagne, il leur fallut un temps d’adaptation de leurs savoirs. S. Léone utilise le cadastre sarde du début du XVIIIe siècle et des cartes IGN contemporaines pour proposer une représentation cartographique de la correction du lit de l’Arve et de l’Arveyron : le jury a été particulièrement sensible à la constitution de cet outil de travail pertinent, partie intégrante de la méthodologie.

Dans la troisième partie, « les enjeux de la forêt et les risques naturels », S. Léone s’intéresse à la transition entre la gestion locale des communautés et les méthodes de l’administration forestière française. En effet, les règlements forestiers sardes ne pouvaient être appliqués faute de relais administratifs. Grosses consommatrices, les sociétés de montagne gèrent prudemment leurs forêts. Par exemple, on utilise les chablis de l’année (causés par les vents ou les avalanches) pour créer ou renforcer les endiguements prodigués aux torrents. La mise en place de l’administration forestière française verrouille l’accès des communautés à la gestion des forêts. La présidente du jury A. Corvol fait toutefois remarquer que l’application des règlements comme le Code Forestier de 1827 fut moins sévère que dans d’autres départements français, peut être parce que la région était déjà acculturée à la gestion sylvicole.

En résumé, la problématique de cette thèse examine la gestion d’un territoire dangereux, à la fois par les populations et par les administrations sarde puis française. Beaucoup de choses ont été apportées quant aux réponses de ces administrations. Les différentes catégories de risques ont été envisagées de façon globale, les concepts géographiques (risque, aléa, vunérabilité) étant parfaitement maîtrisés. Ce travail s’insère dans champ de l’histoire des risques naturels ouvert depuis une vingtaine d’années, et soutenu par des programmes d’Etat, puisqu’il répond à une demande sociale. Travailler sur les risques naturels revient à ouvrir la boîte de Pandore : il faut examiner une société dans tous ses domaines : économique, social, culturel, représentations... Le doctorant, limité dans le temps, doit opérer des choix ; on pardonnera les imprécisions concernant l’économie rurale et forestière de ces sociétés de montagne, et on louera l’énorme travail de documentation proposé en annexe, avec de nombreuses cartes produites par l’auteur. Celui-ci a de plus orienté son travail en fonction du cahier des charges institutionnel qui était le sien. En effet, la région Rhône-Alpes a participé au financement de la thèse de S. Léone, qui a rappelé au jury le caractère interdisciplinaire de ses recherches, et la diversité de ses interlocuteurs. A ce propos, M. Moriceau, membre du jury, a évoqué un débat fondamental concernant le rôle social de l’historien de l’environnement. Certes, il est à souhaiter que ce genre de thèse se place sur le terrain de la recherche appliquée et débouche sur des applications concrètes de la part des décideurs. Ici, le travail d’inventaire des phénomènes avalancheux depuis le XVIIIe siècle servira au renouvellement de la cartographie de ce type de risque (CEMAGREF). Toutefois, les pouvoirs publics ont rarement besoin de références dépassant la centaine d’années. C’est pourquoi l’historien ne peut pas se considérer seulement comme le pourvoyeur de données concernant le passé, et doit conserver le mode opératoire et l’indépendance de sa discipline. Le jury se félicite de l’ouverture de ce travail de recherche sur d’autres univers scientifiques, peut-être au détriment des méthodes strictement historiennes. La bibliographie notamment aurait pu s’étoffer de références plus récentes à utiliser comme instruments de travail.

Emilie-Anne Pépy

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